Ruralité / 13.02.2017

Le rural en lutte #2 : Les îles menacées de l archipel paysan

Bouleversements climatiques, déprise agricole, sentiment d’abandon : ces nombreux défis posés aux territoires ruraux sont relevés par des acteurs locaux qui entreprennent et innovent. Ce sont ces expériences positives glanées en Bourgogne Franche-Comté que je veux partager. Journal de lutte rurale : deuxième épisode.

Un village qui s’éteint meurt d’une longue agonie silencieuse, si ce n’est les sifflements du vent par les volets clos. Beaucoup de communes disparaissent en très bonne santé : les prés de printemps sont toujours couverts d’une prairie grasse, les forêts demeurent opulentes ; les bâtis lourds pourraient encore accueillir des générations et la comptabilité municipale est parfaitement tenue. Hé bien quoi ? La nature reprendra ses droits, voilà tout. Pas si simple : nos paysages ruraux sont domestiques. Sans entretien les forêts s’asphyxient, les prés s’appauvrissent, les charpentes prennent l’eau, se déforment et poussent les murs qui tombent à terre. Un potentiel se perd et sera bien plus long à reconquérir.

Comment attirer de nouveaux habitants ? Quels centres d’intérêt développer ?  A cette question, de nombreux territoires ont répondu par la mise en œuvre de lotissements et d’équipements coûteux : pour remplir l’école, il faut de jeunes ménages. Pour accueillir ces jeunes ménages à court terme il faut des lotissements. Mais les enfants grandissent plus vite que les emprunts publics ne s’amortissent. Il faut de nouveau s’agrandir à bas coût pour rentabiliser l’école, quitte à entrer en concurrence avec les communes voisines en offrant les terrains aux nouveaux arrivants. Une politique de l’épuisement : épuisement de l’espace, épuisement des ressources communales, épuisement de l’identité des territoires, standardisés par défaut de volonté et d’imagination. Et de temps. C’était pourtant l’une des ressources principales de la campagne, le temps.

Lorsque je viens à sa rencontre en 2012, l’équipe municipale de Remilly-sur-Tille veut à tout prix éviter ce piège qui asphyxie tant de commune à l’entour. Nous sommes en plaine de Saône, quelque part entre l’enclavement du rural profond et la pression foncière de l’agglomération. Un entre deux qui nécessite d’économiser le foncier qui a son prix, tout en préservant l’identité rurale de la commune qui représente un atout auprès des rurbains, des néoruraux. Inspiré des cités jardins, l’habitat groupé doit se fondre dans un cadre typologique acceptable pour tous : ceux qui ont toujours vécu ici et ceux qui viennent de là-bas. Il faut imaginer des logements communiquant avec l’espace extérieur, des façades qui soient « aimable » vis-à-vis de l’espace public dans l’esprit de ce qu’on peut trouver en ville, mais dans le même temps préserver l’intimité de chacun, cette pépite que l’on vient chercher à la campagne. Associer les contraires, ciseler le compromis. Finalement, le projet n’est pas sorti de terre : 20 minutes du pôle urbain, c’est déjà trop loin pour les promoteurs. Il aurait fallu réfléchir à la racine et motiver des habitants-acteurs d’un nouveau type.

simulations pour le projet d’habitat groupé de Remilly-sur-Tille (projet d’agence)

C’est la direction qu’a choisi la commune de Longecourt-les-Culètre, dans le canton d’Arnay-le- Duc (21). Il faut dire qu’elle n’avait plus le choix. Avec moins de cinquante administrés pour lui accorder sa confiance, le maire était au bord du gouffre. Dés 2004, il consulte tous azimuts. Alors, Architecte-Conseil de la Région, j’essaie de faire au mieux. Je me déplace, comme le CAUE, comme tous les organismes capables de donner un coup de main. En réalité, on patauge. On manque de références positives, de retour d’expériences. Je dis : dans le Sud de la France, il y a un type qui a lancé le concept des Eco-Hameaux, François Plassard. L’idée fait son chemin, les études débutent.

 La commune a fait le pari que le collectif pouvait germer sans forcément investir lourdement dans des équipements publics. Et que la diversité de l’habitat pouvait naître de la volonté de ses habitants, sans nécessairement plus d’argent qu’ailleurs. Grâce à une foire bio au succès croissant, la commune a très tôt disposé d’une caisse de résonance efficace pour diffuser l’information de son projet, ouvert à des habitants-acteurs disposés à participer à la construction de leur espace commun. Cela n’allait pas de sens : en campagne, l’individualisme prime souvent et même lorsque l’on s’entend sur le principe d’une construction écologique, de violents débats peuvent éclater entre les tenants de l’économie d’énergie à tout prix, les promoteurs de filière locale et de matériaux sains, ceux du bioclimatique… Le bâtiment et l’urbanisme sont affaire de compromis et lorsqu’il se construit en collectif, le compromis est synonyme de concession. La commune consulte et retient mes confrères de Zéro Carbone pour mener son projet. Bien qu’inspiré par le concept des éco-hameaux, le projet a dû partir de zéro faute d’expériences similaires dans des cadres ruraux correspondant ; il a également manqué d’un réseau local équivalent à ce qui se passe en Bretagne autour du réseau BRUDED. Et puis le soutien local s’est montré plutôt discret, selon le principe d’épuisement que j’évoquais plus haut.

Que le projet de Longecourt aboutisse ou non, il marque déjà un seuil en matière de solution formelle, de mode de concertation et de dialogue entre la collectivité locale et les collectivités territoriales ; il marque aussi des manques, dans l’accompagnement en matière de gestion d’opération et de mise en réseau.

Prochain épisode du rural en lutte : Territoires d’énergie. 

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