Suite à l’accord signé ce 21 mars entre le ministère du Travail et de la Santé et les professionnels du BTP, la presse a titré largement sur la sortie de crise liées au maintien de l’activité économique en plein pic de propagation du coronavirus. Encouragés par les déclarations brouillonnes de la ministre du travail madame Muriel Pénicaud, confondant (à dessein) protocole d’accord et accord, beaucoup commanditaires ont alors interprété cette situation en cours comme une opportunité immédiate : tous les chantiers pourraient reprendre lundi 23 mars. En réalité, on en est loin.
C’est un fait : beaucoup de choses sont encore à mettre en place pour assurer la sécurité au travail des femmes et des hommes qui construisent nos villes et nos paysages. Comme le dit Jacques Chanut, le patron de la FFB, cela ne se fait pas « d’un claquement de doigt ».
Dans une interview donnée à BFM Business ce lundi 23 mars Jacques Chanut a affirmé que les conditions de la reprise des chantiers n’étaient pas réunies, notamment parce que le guide de bonnes pratiques était en cours de rédaction. Mais aussi parce que trop de questions restaient en suspens : comment assurer les mesures d’éloignement sur un échafaudage, dans un cantonnement, pour les (nombreux) gestes qui nécessitent quatre mains et non deux ? Au surplus, pendant qu’ils ne travaillaient pas, un grand nombre d’artisans ont fait don de leurs tenues de protection aux services de santé locaux, notamment à l’invitation de la CPME. Comment reprendre l’activité sans même pouvoir se protéger contre les risques inhérents au métier? Comment se protéger si même les hôpitaux ne disposent pas d’équipements en nombre suffisants ?
Par ailleurs, la plupart des métiers périphériques au chantier sont à l’arrêt ou fonctionnent de manière dégradée. C’est le cas des filières d’approvisionnement mais aussi des coordonnateurs SPS, professionnels garants de la sécurité sur les chantiers. L’APAVE, un poids lourd du secteur, a notamment publié un communiqué en date du 19 mars dans lequel elle annonçait suspendre « toute activité sur le terrain ». Comment reprendre sans filets de protection?
Les architectes, par la voix de leurs instances ordinales, « n’acceptent pas une reprise à risque ». Nous sommes d’autant plus remontés que nous n’avons été ni conviés ni consultés aux réunions de crise au ministère du travail et que nous n’étions pas davantage représentés par notre ministère de tutelle, le ministère de la culture (on a envie d’ajouter : comme d’habitude).
Reste que sur le terrain les cas de conscience se multiplient. Rassérénés par les propos du gouvernement, de nombreux maîtres d’ouvrages demandent la reprise des chantiers. Des clients privés, mais aussi des collectivités locales et territoriales. Les architectes tentent de faire œuvre de conseil (c’est une partie de leur mission), mais les clients font pression. Et lorsqu’on connaît la santé économique du secteur, on comprend qu’il peut être compliqué d’y résister.
Or, en tant qu’architecte portant un devoir de conseil, je dois rappeler que le maître d’ouvrage est, dans la loi, co-responsable des mesures de prévention en vigueur sur le chantier (Code du travail – Article L4531-1). Il lui appartient notamment de veiller à ce que son chantier de bâtiment ou de génie civil soit suivi par un coordonnateur SPS dés lors qu’au moins deux entreprises interviennent dans le même temps sur site. En l’absence du CSPS, ou lorsque l’activité de celui-ci est suspendue, le chantier est en infraction.
Par ailleurs, en cas d’accident du travail survenu sur un chantier, le maître d’ouvrage peut être poursuivi sur le fondement du Code pénal pour homicide ou blessures involontaires, s’il s’avère qu’il a commis une faute ayant été à l’origine de l’accident. Qu’adviendra-il lorsque des ouvriers contaminés seront en mesure de prouver que le foyer de contamination est leur lieu de travail ? Est-on d’accord pour dire que nous ne voudrions pas avoir à nous poser cette question ?
Enfin, j’invite mes confrères architectes, maîtres d’œuvre, bureaux d’étude et mes amis artisans et entrepreneurs du bâtiment à bien relire le texte de l’accord signé le 21 mars : dans son dernier paragraphe, celui-ci « invite » les donneurs d’ordre à ne pas rechercher la responsabilité des entreprises en cas de contamination sur un chantier. Et de demander ensuite à leur avocat ce que vaut une « invitation » en matière pénale.
On le voit, en matière d’exposition au virus le confinement devient un luxe : certains donnent des ordres depuis leur foyer, d’autres descendent dans les rues « maintenir l’activité économique ». En revanche, en matière de responsabilité, tout le monde est exposé. Et dans des proportions que certains intervenants feraient bien de réviser.