Vie de l'agence / 03.07.2019

Choix du pôle administratif du Parc national des Forêts de Champagne et Bourgogne : Que les meilleurs perdent !

J’avais une mission confidentielle : aider le site d’Auberive (52) à se hisser en tête pour l’accueil du Pôle administratif du futur Parc national des Forêts de Champagne et Bourgogne. Le temps était compté et le travail devait rester secret pour ne pas éveiller l’intérêt des autres concurrents. Retour sur une petite aventure collective associant un architecte, des élus de terrain et un ministère régalien; entre territoire fertile, projets mobilisateurs, intrigues de couloir, rumeurs et coup de théâtre.  

Aide à la décision : c’est ainsi que s’intitule le genre de mission qui me menait sur une route bordée de forêts jusqu’au village d’Auberive en Haute-Marne. Aider à décider c’est défricher; défricher non pas encore le terrain des constructions mais celui des projets, celui des idées. Etablir un programme, montrer ce à quoi le projet pourrait ressembler et combien cela pourrait coûter. Une mission toujours riche de rencontre mais parfois ingrate : in fine celui qui construira pourra être un autre architecte. C’est la règle du jeu à laquelle je me plie depuis maintenant une décennie consacrée à soutenir les communes rurales dans leur développement. La différence cette fois-çi, c’est que j’avance en terrain inconnu. Je ne connais pas la Haute-Marne, encore moins la  Communauté de Communes d’Auberive Vingeanne et Montsaugeonnais (CCAVM)

A la faveur d’une pose le long d’un sentier forestier, je relis mes notes :   la CCAVM est située en trait d’union entre la Champagne et la Bourgogne, au Sud Est du département de la Haute-Marne, et compte une population d’environ 8500 habitants, en légère croissance. Au coeur de ce territoire, La commune d’Auberive est couverte à 70% par des forêts domaniales composées de vastes hêtraies et de grandes colonies de chênes, caractéristique unique qui lui a valut d’être placée dans la zone de Cœur du Parc. Cette petite commune de moins de 200 habitants est desservie par la fibre optique, profite de l’attrait de son massif forestier, de son abbaye fondée en 1135 et de ses sites naturels classés

vue aérienne d’Auberive. ©4vents

Lorsqu’ils me contactent au début de l’année 2019, les élus ont à coeur de proposer un projet innovant et me disent clairement qu’ils ont besoin de moi. Au lieu de quoi j’y vais en traînant des pieds : mon deuxième fils vient tout juste de naître et je préfèrerais pouponner que jouer les pompiers. Autour de la table du conseil d’Auberive, des gens aux itinéraires très différents. De la complémentarité, c’est certain, mais aussi des risques d’incompréhension réciproques.  Pourtant, je suis immédiatement séduit. Par l’équipe d’élus d’abord, par le lieu ensuite. Après quelques échanges, avec les élus, je prends pieds dans ces rues étroites, ces rues cernées de forêts avec au bout de la route la silhouette majestueuse de l’Abbaye. Un village comme je les aime : engoncé au fond de son vallon, façonné par l’eau, au coeur d’une terre domestiquée aux temps immémoriaux par les moines bâtisseurs. Mais aussi une vitalité étonnante : maison commune, commerces, Ecole, micro crèche («A L’Abord’âge»!), médiathèque…Et aussi un très original « Centre d’Initiation à la Nature ». Partout, l’envie de vivre et faire vivre.

De retour à la table de travail les mines sont graves. Auberive part avec des handicaps: La rumeur dit que la Côte d’Or remportera la mise : le département voisin dispose de puissants soutiens à Paris. Et puis Auberive est un bien petit village. Comment transcender cet état de fait ? En faisant du handicap une force ! En assumant sa ruralité. Je pensai : le terrain est fertile. Le manifeste du Parc Naturel ne place t’il pas la ruralité comme pivot fondateur de son existence ? Il fallait affirmer non seulement une ruralité heureuse mais aussi conquérante, capable de puiser dans la sève de ses milliers d’arbres l’énergie de bâtir un projet résolument tourné vers l’avenir. 

C’est ainsi que la proposition d’Auberive est née : avec le souhait d’un édifice neuf, en bois, les yeux rivés sur la forêt; la forêt en lui et tout autour de lui. « Et pourquoi pas avec nos bois locaux ? » Je fais la moue. Je n’ai jamais construit qu’en résineux. Je sais, ainsi que les forestiers parmi nous, que la pratique de la charpente de feuillu s’est un peu perdue et que le hêtre qui partout nous environne est une essence capricieuse pour servir de bois de structure. Néanmoins il me faut aider. Alors j’apprends, je découvre. Nous découvrons ensemble. En Suisse, en Autriche, des filières existent. Tout près de nous dans les Vosges le PETR du Pays d’Epinal s’est fièrement renommé « Terres de hêtre » et depuis 2011, l’institut technologique FCBA expérimente : Tests mécaniques, règles de tri et méthodes de classement visuels. Une filière se construit pas à pas mais manque cruellement de projets pilotes. A Auberive, les élus font jouer leurs contacts : agents de l’ONF, scieurs, exploitants et transformateurs : toute la filière est méthodiquement sondée. Parallèlement les agents de la CCAVM s’assurent que le territoire sera en mesure d’héberger les quelques quarante personnes, permanents et non permanents, qui travailleront quotidiennement sur le site. 

Le site d'Auberive

Carte du site D’Auberive (52), candidat à l’accueil du po^le administratif du 11e Parc Naturel National.

Il faut aller vite, très vite :  le cahier des charges de l’appel à intérêt vient de paraître et la préfecture ne donne qu’un petit mois pour déposer son dossier. 1200 m2 de locaux sont à programmer à partir d’une feuille blanche.  Tout autour, sur les deux départements, rumeurs et luttes de pouvoir se poursuivent en coulisse. Il se dit que l’organisme formé pour donner son ossature au Parc, le Gip du futur Parc, milite lui aussi pour la Côte d’Or. Chez les représentants de l’Etat en Haute-Marne, on hausse les épaules : son avis est « seulement consultatif ». Et l‘avancement des autres dossiers ? Le bourg-centre d’Arc-en-Barrois se porte candidat. Je souris : son projet se développe sur plusieurs bâtis anciens disséminés dans la ville. « Ce qu’il y a de pire !», dis-je au président de la CCAVM : c’est ajouter à la multiplication des coûts d’exploitation les difficultés de gestion du parc et du personnel. J’en suis convaincu : techniquement le dossier d’Arc-en-Barrois ne tient pas la route.

Dans mon esprit, l’édifice d’Auberive s’extrait de sa prairie pour s’élever vers les arbres. Une toiture végétalisée en pleine terre c’est lourd, je sais, mais c’est un tel gain en confort d’été. Et ce toit sera un prolongement de l’arboretum : un gage de compacité pour le programme. A l’intérieur, une forêt de poteaux massifs ponctuent l’espace. Tout autour, le projet tâche de se connecter au bourg. 

Comparé à des bâtiments de réemploi, Le programme d’Auberive est cher à l’investissement mais économe à l’exploitation. Et riche de perspectives, pensé comme un creuset d’expérience locale à même de développer une filière de construction créatrice d’emplois. Une raison d’être supplémentaire pour nos forêts domestiques. Pour la première fois je me dis : Ils peuvent le faire. Pour ma part, je ne me fais que de maigres illusions : Dans le meilleur des cas, si le site d’Auberive est choisi,  je n’aurais été là que pour préparer le terrain d’un futur concours de maîtrise d’oeuvre. Je sais que j’aurai du mal à passer le barrage des références : de nombreux confrères, pour beaucoup des amis ou des connaissances, sont bien mieux armés que moi pour l’emporter. Je sais que je risque d’offrir à d’autres le contexte idéal pour édifier le projet dont je rêve. Mais c’est ainsi : c’est le jeu. 

Esquisse du Pôle administratif d’Auberive

La CCAVM m’arrache une esquisse ou deux : normalement, le cadre de ma mission ne me permet pas d’aller jusque là. Mais comment convaincre sans cela ? Le dossier est remis dans les temps et marque d’emblée les esprits : il fait partie des deux finalistes.  Son principal concurrent de Villotte-sur-Ource, en Côte d’Or, propose de réemployer d’ancien locaux situés dans le parc de son château. Un bon projet, partiellement privé, qui se place  à l’abri des contraintes du code des marchés publics. Deux autres projets sont écartés par le GIP : l’un proposé par la Région bourgogne Franche-Comté au voisinage d’un lycée agricole, l’autre à Arc-en-Barrois. Le dossier d’analyse part à Paris. C’est le Ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie François de Rugy qui tranchera. On ne sait trop quand. En théorie, le travail est terminé. En pratique les rumeurs et les tractations se poursuivent. 

Au premier soir de juillet, sous une chaleur encore étouffante, le message me parvient, laconique : Ce sera Arc-en-Barrois. Aucun des deux projets finalistes n’est retenu. L’avis du GIP n’était, comme l’avait rappelé la préfecture, « que consultatif ». Ainsi que son analyse. Ce qui importait en fin de compte c’était d’être un bourg centre. En 2019, la ruralité s’arrête là. Le reste ? De la poussière qu’on chasse du talon. Il est probable que personne, au cabinet du ministre, n’a pris la peine d’ouvrir le dossier d’analyse. La décision vient du haut et descend vers le bas. L’intelligence aussi, cela va de sens. Du haut vers le bas : du nombril au dessous du talon. Et cette poussière, que l’on chasse et qui reviendra. Inlassablement.

NOTA : Pour découvrir le dossier de candidature d’Auberive ça se passe ici.

Commenter

Ajouter votre commentaire

(requis)

(requis)

Une idée ? Une question ? Un projet ?

Contact